Renand, mon père, me sourit de toutes ses dents.
C’était la huitième fois depuis que je m’étais levée, c’est-à-dire huit fois en
deux heures seulement. Nous étions en train de prendre le petit déjeuner. Du
lait, du café, et des tartines à la confiture d’abricot. C’était sa préférée ;
personnellement, je suis plutôt miel. Bref, on prenait notre petit déjeuner ! Un
petit déjeuner retardé par des œufs cramés ; les œufs étaient restés dans le feu
trop longtemps et avaient finis par devenir brunâtres avec des bords noirs. Il
fallait avouer, Renand n’était pas un cordon bleu ! D’habitude, il sortait pour
manger ou se commandait une pizza. Mais là, il avait fait des efforts parce-que
j’étais là. J’avais déjà remarqué hier qu’il faudrait désormais que je fasse la
cuisine. Voyant que je fixais ma tartine, il me dit :
« - Tout va bien Gaby
?
- Oui, oui. »
J’étais arrivée hier soir, dans ce petit village nommé
Greenlight. J’en avais déjà entendu parler dans les histoires que me contaient
Grand-mère. Avant, j’habitais à Waidie’h, la capitale du pays. La capitale du
royaume. Notre royaume de Freesiaah.-Fraiizberry’h Une très grande ville où
j’avais beaucoup d’amis. Oui. Vraiment Beaucoup. Mais pour combien étais-je
réellement importante ? Pas beaucoup. Pour ne pas dire : aucun. On était une
bande, grande, unie, et solide. Mais je n’avais pas de meilleur ou meilleure
ami-e. Je me demande ce que ça fait. Là-bas, je vivais avec ma grand-mère
paternelle. Mon père, pendant mes six premières années, était occupé par sa
place à l’armée. À cette époque, il y avait une grande guerre. Côté maternelle…
Ma mère, je n’ai jamais vraiment su pourquoi elle ne m’avait pas prise avec
elle, pas élevée. Je ne sais même pas si elle m’aime, ou même, si elle se
souvient avoir une fille. Une petite fille qui l’attendait. Qui l’a toujours
attendue. Maintenant, c’est fini, cette petite fille a grandi, cette petite
fille a changé, cette petite a compris. Compris que sa maman ne reviendrait pas
la chercher. Compris. Pigé. J’ai vu une photo de ma mère une fois. Brune-noir,
les cheveux courts, coupés au carré, les yeux marrons clair. Un grand sourire
aux lèvres. Bref, ma grand-mère, une femme généreuse, attentionnée et tout a
fait respectable, m’a élevée durant ces quatorze années. Mais elle était morte,
il y a de cela presque deux semaines. Mon père avait alors décidé de me prendre
avec lui, ici. C’est comme ça que je me suis retrouvée à Greenlight, le village
de la forêt verte.
Renand s’essuya grossièrement la bouche avec sa serviette
: il avait fini de manger.
« - Renand … , commençais-je
- Papa ! Je suis
papa !, répondit-il lentement, comme s’il était avec une gamine de 10 ans.
-
D’accord, papa… J’ai entendu dire que la forêt verte ne s’appelle comme ça que
depuis peu. C’est vrai ?
- Oui… Non ! Euh… En fait, elle ne s’est jamais
comme cela… Son vrai nom est « Emohmai ». Mais sa ressemblance avec le mot
emumay est très male vue. Répondit-il en fronçant les sourcils. Très male.
-
Ils croient quoi ? Que des emumays très dangereux vont sauter des arbres pour
les tuer ?! m’écriai-je, ne sachant si je devait être en colère ou opter pour un
fou rire.
- Mais, c’est que…
- Attends ! Ne me dis pas que toi aussi ?!
lançais-je surprise.
- Tiens, répondit-il sur un ton faussement distrait, il
fait beau aujourd’hui ! Le ciel est bleu, ça alors !!!
Voyons le bon côté des
choses : maintenant, je savais d’ou me venait cette incompétence à bien
mentir.
- Ren…
- Papa ! Moi être papa !
- D’accord, d’accord…
-
Maintenant, vas te brosser les dents. »
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